Anna (Italie)

© Younes Baba Ali

Anna est artiste sonore. Elle utilise le son comme le peintre son pinceau ou l'écrivain sa plume, pour faire naître des paysages ou raconter des histoires. Polyglotte et voyageuse, Anna s'appuie sur son apprentissage des langues et ses expériences à l'étranger pour développer sa recherche artistique. 

La musique des langues et des mots, la richesse des sons qui nous entourent, lui fournissent la matière dont elle a besoin pour ses créations sonores.

 
Anna est italienne. Elle a vécu plusieurs années à Madrid en Espagne et habite actuellement à Marseille. Anna parle couramment espagnol, français et anglais : un beau mélange culturel et linguistique qui génère parfois quelques situations d’incompréhension !
 
« Je me fais souvent piéger par les faux amis, ces mots dont la forme est si semblable mais le sens si différent. Une fois, j'ai employé l'expression espagnole « estoy embarazada » pour dire que j'avais mal au ventre, comme je l'aurais fait en italien. Sauf qu'en espagnol j'ai dit que « j'étais enceinte »! J'ai aussi tendance à franciser certains mots qui me viennent naturellement en espagnol : pour évoquer le « verre » par exemple, il m'arrive de dire « vidre » à cause de l'espagnol « vidrio ».
Pour moi, ces erreurs sont une source d’inspiration pour mon travail artistique ».
 
Anna voudrait maintenant s'éloigner des langues romanes et se lancer dans l’apprentissage de l'arabe ou de l'allemand. « Pour moi, apprendre une langue, c'est un miracle bouleversant, un moyen fantastique d’accéder à des gens et à leur culture ».
 
Journaliste de formation, Anna a toujours été passionnée par la radio. Où qu'elle se trouve sur le globe, elle n'a jamais cessé ses activités radiophoniques, malgré les difficultés que cela suppose. Comment adopter le ton et le débit d’un journaliste espagnol ou français quand on ne maitrise pas tout à fait la langue ? C'est en étant confrontée à ses propres limites qu'elle est arrivée à la création radiophonique. La radio est devenue pour elle un espace de jeu, de recherche et d'expérimentation. C'est à ce moment-là qu’elle a découvert la radio-performance, un genre qui questionne les frontières entre la radio et les arts de la scène. « Il s'agit de faire sortir la radio du studio, et d'engager son propre corps sur une scène ou dans l'espace public. Les radio-performances sont des œuvres sonores qui ont une dimension visuelle importante. »
 
La dernière radio-performance réalisée par Anna s'appelle Play Babel et s'est déroulée dans le marché d'un quartier multiethnique de Vienne, en Autriche, en août 2010. Elle a convoqué dans ce lieu un groupe de performeurs. Chaque participant, muni d’une radio portable ou d’un baladeur numérique, écoutait en même temps une pièce sonore réalisée en amont par Anna.
« Cette pièce est composée de nombreux sons d’ambiance et d’une voix qui donne des instructions, par exemple : « Imagine que tu ne parles pas le français, comment exprimerais-tu que tu as très faim, très soif ou très chaud ». Les performeurs réagissent à ces consignes en réalisant des gestes ou des actions.
J'avais enregistré dans ce marché une phrase en langue Igbo prononcée par un Nigérian. Parmi les instructions que je donnais dans la pièce sonore, je demandais aux performeurs de répéter à voix haute cette phrase qu'ils ne comprenaient pas. Cela donnait une situation tout à fait décalée!  »
 
Pour Anna, le corps est essentiel pour vivre au quotidien dans une langue étrangère. « La traduction n'est pas seulement un processus linguistique, c’est aussi un processus corporel. En situation de communication, je m'appuie sur le langage non-verbal, sur le geste pour traduire un mot, une expression ou une idée. C'est cela que je voulais développer dans Play Babel. Je souhaitais également que les participants, tous Viennois, se sentent étrangers dans leur propre ville, écoutent et regardent ce qu'il y a autour d'eux comme s'ils le découvraient pour la première fois ».
 
Pour donner à ce portrait d’Anna une dimension sonore, je lui ai demandé d'évoquer les mots qu'elle préfère et ceux qu'elle aime le moins dans les différentes langues étrangères qu'elle maîtrise.
Avec cette matière sonore, j'ai créé la pastille « Je suis mes mots », une série de variations pour voix et saxophone.
 
Bonne écoute !  
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Pour en savoir plus sur Anna et ses créations sonores, vous pouvez visiter son site personnel : http://annaraimondo.wordpress.com/
Écoutez également Jusqu'ici tout va bien, une émission mensuelle qu'elle anime sur Radio Grenouille : http://www.grenouille888.org/dyn/spip.php?rubrique596

 

Déborah Gros